L'étoffe des héros

 


Ainsi partent les super héros, mais cette fois, pas de happy end, de retournement de situation, la production en a décidé autrement. Le Boss a dit « non, on arrête » et, à la faveur d'une nuit, tu es parti sur la pointe des pieds.
Pourtant, pour tes petits enfants tu en étais un, de super héros. Tu avais résisté à tant de choses. Ils y croyaient. Parachutiste atterrissant dans un étang avec une tonne de matériel sur le dos, une bourrasque de vent te sauve de la noyade. Puis 10000 volts te traversent le corps mais tu défies Tesla et Edison et tu renais. Un essaim d'abeille t'attaque à la tête ? Bagatelle ! Le lendemain tu n'en as plus de trace. Ton coeur te lâche mais, huit heures d'opération et le voilà qui se remet au tempo du temps des hommes. Alors, oui, nous te croyions immortel.
Mais Anne-Marie est partie et tout ton paradigme s'est effondré, la machine s'est enrayée, détraquée. Le yang a perdu son yin. Car comment parler de Jacques sans évoquer Anne-Marie, compagne pendant près de 70 ans. Tu avais lié ton destin au sien. Comme deux lianes symbiotiques s'unissant pour atteindre la canopée, vous avez grandi de conserve, formant un duo d'inséparables, l'Auguste et Mr Loyal, traçant votre histoire sous les feux de la vie.
Tout à coup, plus de projet en Bretagne, plus de discussion au petit déjeuner entre miel et biscotte. Plus personne pour fustiger ton étourderie d'un « Oh Jacques » réprobateur qui en disait long.
Ta vie est alors devenue un théâtre d'ombres tristes.
Ce théâtre qui t'a habité, longtemps. Toi, l'homme discret, osait tout à l'ombre du quatrième mur. Cherchant ton propre registre, tu as chanté Ouvrard, tâté du Molière, du Pirandello et incarné des personnages de Sartre, osant le grand écart artistique.
Pour ton départ, tu nous avais prédit une pièce courte, souhaitant que le rideau tombe au plus vite et finalement, cabot, tu t'es imposé les cinq actes du théâtre classique avant de rejoindre les coulisses. En tout cas, merci l'artiste, merci de m'avoir transmis ce goût du spectacle, du public, cette acte de don éphémère sous la lumière des projecteurs.
Quoi qu'il en soit, pour nous, tu resteras un super héros, celui auquel on voudrait ressembler. Peut être que les véritables super héros ne sont pas dans l'extravagance, l'ostentatoire. Peut-être ne sont-ils pas ceux que l'on croit. Peut être que les super héros sont ceux qui accompagnent nos vies d'un pas tranquille, sans remue ménage, mais avec Amour et bienveillance. Et toi Jacques, papa, mari, copain, tu es de cette étoffe. Tu as rempli cette vie sur terre de ta gentillesse, de ton dévouement, de tes attentions pour ta femme, pour tes enfants, pour les autres. Tu nous a fait rire par ta douce candeur parfois. Tu as été notre guide, notre polaire
toujours dans le bon Nord.
Tu te demandais avec la naïveté d'un Petit Prince si tu nous entendrais, une fois que tu serais dans la boîte ?
Si les sons physiques ne parviennent pas, je sais que tu entends le langage du coeur, car celui-là s'affranchit des distances, des obstacles, du temps et de l'espace. Alors bien sûr que tu nous entends.
Quelques jours avant ton départ, tu voulais un vélo électrique. Ta demande était sérieuse. Un vélo rouge écarlate. Nous n'avons pas pu satisfaire ta demande et tu es certainement parti à pied.
Alors ce que j'espère c'est que là-haut, là-bas, dans cette dimension nouvelle, quelqu'un t'aura fourni ce vélo rouge écarlate et que chevauchant cette monture interstellaire tu pourras parcourir l'éternité.
Si, par un soir clair et étoilé vous voyez une lumière rouge traverser le ciel, ne vous méprenez pas. Il ne s'agira pas d'une météorite détachée d'une comète en déshérence mais d'un monsieur, sans âge désormais, au guidon de son fringant destrier écarlate. Faites lui un petit signe de la main, il vous reconnaîtra.

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