L'attente
Elle est depuis longtemps dans cet hôtel de verre, cathédrale transparente défiant les nuages les plus bas, dans la suite 2404, surplombant le passé.
De là-haut, elle observe les trains de nuit qui quittent la gare. Leur œil cyclopique arrose les rails d'une lumière électrique. Ils transportent les souvenirs de l'humanité, les conduisant dans les silos de l'oubli ou aux archives mémorielles. Le trafic est intense, incessant. Les trains qui partent sont remplacés par d'autres qui arrivent pour alimenter le présent.
Elle l'attend , Lui, jour après jour. A force d'attendre, elle a le sentiment de devenir l'Attente. Elle sait qu'il viendra, pourtant, et qu'ensemble ils quitteront l'hôtel pour un voyage éternel. Un jour.
Parfois, elle descend au bar, ignore l'ascenseur et emprunte l'escalier-alphabet. Elle ne maîtrise pas la langue locale et les mots de ses pas son vains, dénués de sens.
L'hôtel diffuse la musique d'un orgue de cristal qui se répand dans les salons, les couloirs et dépose son voile harmonique sur le décor standardisé.
Le barman jeune, jean et allure décontractée, qu'elle sait être un agent du Temps, secoue un shaker argenté, verse un liquide orangé dans une coupe conique qu'il pousse vers elle.
Elle enveloppe la paille de ses lèvres luisantes et sirote le cocktail, le regard perdu sur l'horizon des sièges en cuir.
Elle voit à peine les autres clients. Des couples flirtent, berçant leurs illusions à l'intersection de leurs regards amoureux. Des hommes d'affaires grugent d'autres hommes d'affaires, picorant l'avantage comme des alouettes sans miroir.
Elle remonte dans sa suite. L'ascenseur se hisse dans un feulement hydraulique et la dépose là haut.
Seule. S'approche de la fenêtre. Les trains toujours, ballets d'essieux, pantomime des wagons luisant de métal. Seule. Dans l'attente. Et puis, cette silhouette, tout en bas, reconnaissable entre des milliers. Minuscule au pied du gratte-ciel. Absorbée par la base de l'immeuble.
Des minutes, plus longues que des jours de solstice d'été.
Un pas dans le couloir. Des coups à la porte comme un pic-vert fouillant l'écorce.
Alors l'attente, obsolète, se drape en aurore boréale et, sans bruit, s'évapore au-dessus de la ville.
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