L'oiseau métallique



J'ai fait ce voyage dans la soute de mon rêve, non pressurisée. L'air devenu rare, mes oreilles ont sifflé des toccata suraiguës

J'ai descendu les marches du sommeil paradoxal, franchi les limbes du songe profond et mes pas m'ont poussé là. J'ai froid. Il fait sombre et humide. Au bout de quelques secondes je commence à m'habituer à l'obscurité. Je n'ai d'autre alternative que d'avancer. Une douce plainte d'alto baroque accompagne mes pas. Dans ce sous-sol humide, ce probable ancien parking, je contourne des piliers de béton. Le temps semble figé dans les années 60. De vieux breaks Chevrolet couverts de poussière, aux habillages de bois sur les côtés tiennent lieu de trace de civilisation et je m'en contente. Une vague lumière vacille au fond du parking, m'attire, comme le photophore aimante les lucioles. Une cage de verre dépoli plantée là. Le nez collé à la vitre je découvre un vieil homme la peau scarifiée de crevasses d'âge. Le regard vide il peint une toile translucide au centre de la pièce.
Ce rêve ne me plaît pas mais pas de retour possible, rêve non échangeable et non remboursable. Je dois boire la coupe jusqu'à la lie.
Au-delà de la cage de verre d'autres soubassements, familiers, ceux de mon ancienne maison. Je ne suis plus chez moi, les voûtes en pierre ont été remplacées par du béton froid et je sens que je ne serais pas le bienvenu. L'hostilité suinte des murs. Le danger est palpable. Je dois me cacher, mon cœur crépite de peur, des voix agressives me traquent, violation de propriété, condamnation à être momifié dans mon propre rêve. Une trappe salvatrice bée à mes pieds, je plonge dans un noir épais et visqueux. Putain de rêve.
Sorti du vortex, je roule aux limites du compteur. Nous traversons l'Allemagne, champs d'éoliennes alignées, armée brassant du vent de pale en pale. Elle pose sa main chaude sur ma nuque. Comment peut-elle avoir rejoint mon rêve, par quelle porte dérobée ? Je me damnerais pour cet instant de chaleur irradiante. SA main enveloppe mon cou. J'accélère de plaisir. Sa présence me galvanise et je me grise d'Autobahn à grande vitesse avant une petite route de campagne. Schwartzwald, Forêt Noire, dépaysante de germanisme pastoral.
Mes parents nous attendent à l'intérieur d'un café, un Stube traditionnel. Que font-ils là ? Ils sont morts. C'est illégal. Ils ont feinté l'Ankou, ces rebelles trépassés ! J'aime ça. Ils m'ont donné une appétence pour l'insoumission telle une louve donnerait le goût du sang à sa meute de louveteaux. Ils ont planté en moi la graine de l'anarchie. Les ours ne font pas des brebis. Dans le café un spectacle commence. Théâtre d'ombres perfusé sous quatuor à cordes. Le violoncelliste ressemble à mon professeur d'allemand de mes années lycée, revisité par Giacometti. Corps sans fin torturé telle une liane racornie de sécheresse. Et Elle, assise à côté de moi, a pris ma main poussant l'Amour dans mon système vasculaire. Dans l'apesanteur de ce bonheur fragile, je ferme les yeux. Septième symphonie de Beethoven version allégée, il manque des renforts. Second mouvement lancinant, labourant ma sensibilité de ses harmonies, « allegretto » annonce le premier violon italien, « Amaretto sans glace » rétorque le barman. De la beauté sourdent mes larmes, elles coulent d'abondance, creusent à mes pieds dans le parquet usé la faille de San José dans laquelle je m'abîme en chute libre.
Je n'échapperais donc pas au sous-sol ? Est-ce ma condamnation ? Me voici à nouveau dans la pénombre du parking désaffecté pour échapper à la dictature de surface, aux éradications de poètes, aux pogromes de rêveurs, à la pacification Orwélienne.
Un oiseau de métal, né de l'imagination d'un Tinguely troglodytique, circule sur un rail de fer bruyant. Il contourne les poteaux du parking en croassant de ses articulations métalliques, hurlant qu'on le libère. La symphonie est toujours là, prégnante, vivante, vibratoire, jubilatoire. Imposant ses coups d'archets. Elle me remplit et j'ai l'impression de sentir la joie
Le vieil homme peint toujours, insensible. Quelque chose à changé. Cette fois il ose la couleur et ses dents aléatoires sont l'arrière plan d'un sourire.
Est-ce un rêve dans le rêve, matriochka de songes emboîtés ?
Avant que pointe le jour, j'ai creusé la vague scélérate du cauchemar à la force de ma peur, écume après écume.
Je me réveille en sueur d'Elle, aspiré dans sa chevelure arachnéenne, collé de bouche à son cou tendre, ma main à l'écoute de son ventre chaud et palpitant.
Je me réveille.
Comme chaque matin, les deux soleils se lèvent, le bleu et l'orangé. Un jour ordinaire commence.
Onirik 2023

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