INSPIRATION
J'aime que les sons
claquent et s'entrechoquent. C'est chic. Ils tintent en rimes riches
et gourmandes, mariant le « Chien andalou » à une
poignée de clous, l'anaconda solitaire à une cantatrice solaire.
Vous avez remarqué que là, je vous balade, je gagne du temps, je
gaspille de longues minutes avant d'effectuer le grand saut, de me
laisser aspirer dans les vertiges de ma mémoire et de mon présent.
Cette foutue feuille blanche s'ouvre sous mes pieds, découvrant
un gouffre béant peuplé de créatures étranges, ignorantes des
lois physiques ; elles s'affranchissent de la gravité en
flottant dans l'éther, me narguent de leur rire croassant. Elles ont
flairé ma fragilité, mon angoisse paralysante.
Mais revenons
au sujet puisque sujet il y a. Nous avions dit « Inspiration »
mais de laquelle s'agit-il ? De celle qui ne manque pas d'air et
qui nous gonfle au sens littéral du terme. A ne pas confondre avec
« Aspiration » qui elle nous happerait dans le tumulte de
nos désirs et fantasmes.
Pour gagner du temps je bois un
verre d'eau. Un simple verre d'eau du robinet avec des petites risées
qui agitent sa surface. Allez, il faudrait que mon texte soit écrit
lorsque le verre sera fini. C'est qu'il fait chaud et que la gorge se
fait sèche. Mais si je finis mon verre sans avoir mis de point
final, patatras, je romps mon engagement. Quel dilemme !
Cela dit sans flagornerie ni intention de tourner autour du pot
j'aime l'idée que de l'autre côté de ces mots, vous êtes là,
alanguis en lecture, une tasse de thé au gingembre posée à côté
de vous, avec quelques fumerolles autour du cratère de la tasse qui
dessinent des volutes lascives.
Et puis, à force de
préambule, d'introduction au préambule et d'avant propos précédant
l'introduction au préambule, finalement la voilà, l'inspiration, un
peu poussive et capricieuse, je vous l'accorde, mais elle est enfin
là. Libérant ses puissantes phéromones qui agglutinent les
voyelles consonnes dans un jeu de séduction effréné et torride.
Je lui vois l'allure d'une vieille guimbarde américaine genre
Ford pickup F-100 des années 50, cabossée, cahotant dans des
ornières caillouteuses, dans les sous-bois de mon imaginaire.
Accrochant des branches basses, des ronces, bouts d'écorces et
lianes, allégories des idées rencontrées.
Bon sang, elle
est là et, de peur de la perdre, ma main se crispe nerveusement sur
le stylo, érafle la feuille à trois balles qui en devient parchemin
enluminé avec lettrines à l'encre d'or et tout le tralala.
Je me sens pousser des ailes de condor royal, galvanisé par ce petit
monte-charge de la joie qui s'active et passe du cerveau au stylo.
Je vous guide, tel un ranger dans une touffue végétation
amazonienne, dans les méandres de mes phrases maniérées. Il faut
simplifier. Un coup de machette par-ci et hop, un participe en
moins ; un trait de gomme par-là, et voilà un verbe banal qui
tombe.
Je fais le malin mais au fond de moi je suis mort de
trouille car je connais la fragilité de cette inspiration. Chaque
point virgule peut cacher une embuscade et je risque à tout instant
de me retrouver dans la vérité de ma vacuité. Nu devant vous,
comme un ver. Même pas luisant.
Or j'ai envie de vous garder
avec moi, car je ressens votre sourire au détour de mes phrases ;
je perçois votre sensibilité lorsque inspiré par mon cœur, je
vous conduits avec douceur au creux de mes émotions. Votre
complicité silencieuse nourrit mes envies et révèle votre
humanité.
Que ferais-je sans vous ? Que serais-je
sans toi ?
Je voudrais être
votre Shéhérazade et de page en page vous inviter à rester et à
ne pas m'occire en refermant le livre. Je peux vous conter mille et
unes vies, d'hier et de demain. Vous parler d'aventure en Mer de
Chine, des terres boréales où glisse la Yukon River, d'une fille au
teint diaphane perdue dans les rues de San Francisco, d'un marin
triste embarqué malgré lui sur un cargo méthanier, de bigoudènes
assassinées à la pointe du Raz, sous l'oeil des Korrigans, de
contes à la fin heureuse, de comtes qui finissent mal, dans les
geôles de la Conciergerie, du trésor des Cathares, de Chikako, la
fille de l'empereur Ninkô et de tant d'autres choses encore...
Ah, vous êtes toujours là ? Je vous en prie, restez ! Vous reprendrez bien un peu de thé.
Alanguie de lecture, en effet, mais pas de thé au gingembre, l'histoire ne dit pas quand le verre d'eau s'est-il vidé, avant ou après le point final. Toujours portée par tes mots qui ne claquent pas toujours mais qui sont toujours chics. J'ai aimé le ranger en Amazonie, ça sent le vécu, en tout cas, le mien.
RépondreSupprimerMerci