Mon frère imaginé

 


Mon cher frère,


Il y a quelques jours, la maison se dressait encore au bord de la baie. Elle était telle que tu l'as toujours connue, même si le vent, le embruns, la pluie, avaient laminé le bois peint, écorché les planches de ce qui fût notre terrain de vie, coquille rassurante qui abritait nos jeux d'enfants. Ton cœur, comme le mien aurait probablement résonné gravement comme un gong tibétain si tu avais pu une dernière fois monter les trois marches de l'entrée. Ces trois marches qui furent vaisseau de la flotte du roi, corniche escarpée de l'Anapurna, bolide vrombissant, tapis volant. La porte était barrée de planches grossièrement clouées, insultes à nos souvenir.

En passant sur le côté, à l'endroit où Grand-Père appuyait sa barque, j'ai pu collé mon front aux carreaux intacts malgré les années. Derrière plusieurs couches de toiles d'araignées, la grande pièce a alors repris vie pour quelques secondes. La cuisinière ronrrnnante qui répandait sa chaleur bienveillante, la boîte à biscuits sur l'étagère dans laquelle on rangeait les photos. Et puis toi, assis par terre, un coloriage sur les genoux.

Mais un volet a claqué et la pièce s'est vidée soudainement, me ramenant à la réalité.

Et je les ai entendus. Au début, ce ne fût qu'un bruit léger, des billes ricochant sur les ardoises d'un toit. Et puis le bruit s'est rapproché. Les billes sont devenues machines de guerre aux chenilles destructrices. Elles ont débouché au sommet de la colline. Quatre engins entrechoquant le métal assemblé et crachant une fumée noire. Quatre cavaliers de l'Apocalypse prêts à accomplir leur œuvre sinistre.

Au moment où leurs bras destructeurs ont atteint la maison, j'ai détourné le regard.

En quelques secondes la lande était redevenue lande, vide, désespérement vide. Notre passé avait disparu comme tu avais disparu, il y a trente ans, un jour d'été.


A toi mon frère, cette lettre que tu ne liras jamais…

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