Un pont
La visite d'une exposition d'art
contemporain (Jonathan Meese au Carré Saint Anne) il y a deux jours
à Montpellier m'a inspiré un texte que j'avais ébauché il y a
quelques années. L'amoncellement d'objets hétéroclites, les
assemblages improbables, les pistes innombrables qui nous emmènent
dans un labyrinthe indéchiffrable, ont fait écho à l'état de mon
cerveau, qui, parfois, ressemble à un garage de pavillon de banlieue
dans lequel on aurait accumulé les traces de notre vie sans soucis
d'agencement, de logique ou même d'esthétique.
J'ai ainsi eu
l'impression d'entrer à l'improviste dans le cerveau d'un inconnu et
d'y déambuler. De me perdre par effraction dans les méandres d'un
esprit foisonnant et baroque.
Mon psy, acariâtre hippophage, en qui
j'ai une confiance limitée, mes affinités avec la race équine
n'étant pas étrangères à cela, m'a dit un jour :
- ''Pour commencer, si vous voulez vous
en sortir, il faut écrire tout ce qui vous passe par la tête''
Le problème est que je n'ai rien qui
passe par la tête car ce qui est entré refuse de sortir. La moindre
insignifiante information se stocke où elle peut sans respecter
quelque protocole de rangement que ce soit. A croire que mon cerveau
est un espace confortable et accueillant, sorte de havre pour idées
obsolètes, objets déclassés, concepts oubliés et autres
contradictions inutilisables. Résultat : ma tête est un
véritable capharnaüm, une caverne d'Ali Baba où l'essentiel, le
vital, côtoie le dérisoire, le méprisable. Alors, écrire sur ce
qui me passe par la tête risque de décevoir le Freudien praticien.
Admettons que je joue le jeu. Si je
prends ce que j'aperçois le plus prêt de l'entrée, là où les
neurones sont en courant d'air permanent, c'est un pont. Bon. C'est
con un pont. Qu'est-ce que vous voulez que j'écrive sur un pont. Il
est là, inerte, campé dans mon hémisphère gauche, parasitant un
bon millions de neurones. Il ne paye pas de mine, le tablier terne et
poussiéreux, les jambes écartées - à la manière d'un vieux
cow-boy cacochyme usé par la prairie et les vents du Wyoming - pour
laisser s'écouler une hypothétique rivière. Bien sûr, il pourrait
y avoir, accoudés au parapet deux enfants japonais, un trait pour la
bouche et deux billes pour les yeux, exfiltrés d'un manga tokyoïte,
quelques bigouden aux formes généreuses le traversant sur des vélos
rétros, leurs coiffes dressées comme autant de menhirs défiant le
ciel de leurs pointes granitiques. Il pourrait y avoir....
Il suffit d'extraire un objet, une idée
de mon fatras cérébral pour qu'aussitôt, profitant de
l'entrebâillement de cette porte virtuelle, s'agglutinent d'autres
objets ou idées associés. Ainsi à peine ai-je commencé à évoqué
ce pont banal que déjà le Pont du Gard, le Pont d'Avignon, le
Golden Gate, le pont de Brooklyn se mettent sur les rangs dans un
vacarme insupportable. Même le pont de la rivière Kwai, en piteux
état après l'explosion s'invite sans y avoir été convié. Et de
quoi ai-je l'air maintenant avec tous ces ponts qui n'en finissent
pas d'enjamber fleuves, ruisseaux, bras de mer et autres flux aqueux
? Les assembler en une improbable installation à la Tinguely, les
empiler, les aligner, les emboîter, les enfouir dans le sable humide
et grumeleux d'une plage de l'île
de Vancouver et prétendre que je ne suis au courant de rien. A moins
que je ne les emballe dans la fine gaze de cirrus d'altitude, leur
donnant l'allure de barbe-à-papa, que je les tire outre-atlantique à
l'aide de fils d'araignée lovés sur les pentes rugueuses de mon
occiput et les abandonne dans les brumes fondues aux vagues de l'île
de Terre Neuve.
Et,
ainsi allégé, pourrais-je reprendre le cours de mon existence
jusqu'à ce qu'un alizé occipital ou pariétal ne vienne de nouveau
bousculer un fantasme oublié, un vieux souvenir dépareillé ou une
envie inassouvie.
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