Je hais les Pères Noël


Un trapéziste végétarien me demandait récemment si j’étais pour ou contre le père Noël. Etrange question à quelques jours d'un dindocide annuel. Mon opinion fut claire et nette.

En effet, ils sont légions à prétendre au titre, les pères fondateurs, les pères-fouettard, pères Ubu, pères Lachaise, et j’en passe. Pourtant, rien à faire, dès le mois de décembre ils se font supplanter par le maître, le caïd, l’intouchable, le boss, le pacha, le nabab, le grand patron à savoir Môssieur le Père Noël. Voilà un homme qui se balade en pyjama rouge et bottes en skaï avec barbe et moustache de Robinson dans les supermarchés, les grands magasins, les restaurants, qui embrasse nos enfants, les tripotes, les prend sur les genoux et....rien. En temps ordinaire, une armée de policiers de la BAC auraient, tels des pitbulls avides de victimes expiatoires, enfoui la crosse de leur flashball rutilant dans l’abdomen relâché de l’usurpateur empourpré. Des juges médiatiques auraient crié au pédophile carmin, inculpé, écroué, aveux extorqué, jugé. Et là rien. La créature gavée à la protéine du commerce et du capitalisme triomphant parade, adulée, encensée, ovationnée, plébiscitée, photographiée. Elle passe en prime time sur l’ensemble des chaînes de télévision. Elle fait bomber les tiroirs-caisses des marchands repus, trembloter de plaisir les triples mentons des industriels adipeux. Elle pervertit le rêve et le mystère. Car, enfant, ce n’est plus UN père Noël que l’on espère au soir du 24 décembre, blotti dans son lit, nimbé de sa naïveté de 5 ans, inquiet que le vénérable vieillard ne glisse sur les lauzes humides, ne coince sa panse épanouie par les libations interstellaires dans le conduit trop étroit de la cheminée goudronnée ou pis encore qu’il manque la maison, vu qu’on vient de déménager et qu’il n’y a pas encore le nom sur la boîte à lettres. Ce n’est plus ce mythe d’une nuit froide Lapone qui habite les rêves des enfants urbains ..... mais une armée de clones encapuchonnés et embarbés lâchés dans la ville. Dès le début décembre, venus en mobylette, scooter, vélo, tramway, bus, rickshaw, triporteur de Bobigny, Belleville, Argenteuil, les Minguettes, le Vieux-Port ou la Canebière, ce bataillon en haillons magenta, ces intermittents du spectacle aux sueurs accumulées, s’insinuent dans les temples du jouet et de la consommation effrénée avec la bénédiction de ses grands prêtres gardiens de la marge nette. Et nos enfants se font happer par ces mauvaises doublures aux doigts jaunis à la cigarette roulée, à l’haleine anisée et dont la barbe mal ajustée leur donne des airs de nains de Blanche-Neige goguenards atomisés au Picon-bière. Et nos enfants se font photographier à côté de ces figurants à contre-emploi pour le prix d’un Diderot dans la Pléïade, un rictus de peur leur déformant la lèvre supérieure car, assis sur ses genoux, ils ont crû reconnaître Guy Georges sous le capuchon bordé d’une hermine hépatique..
Oui, je hais ce père Noël, catalyseur de nos décadences mercantiles, ce père Noël distributeur de jouets thermoformés aux moules de la misère, de poupées aux airs de prostituées californiennes dont les tresses ont engourdi les petits doigts graciles d’une main d’oeuvre bon marché, d’armes plus réalistes encore que la Kalach du sergent russe qui contemple les ruines fumantes d’un village tchétchène. Je hais ces serviteurs matelassés à la solde des détrousseurs de rêve.

Car bien sûr le Père-Noël, le vrai, existe et, le menton posé sur l’onctuosité cotonneuse d’un cumulonimbus géostationnaire, il observe avec tristesse le balai frénétique de ces pitoyables usurpateurs. Sur son traîneau, des jouets en pin, des poupées en tissus qui ne demandent qu’à être bébé, petite soeur, confidente, des rondins de bois qui auraient pu être forteresse, radeau, lui semblent bien dérisoires face aux attentes préfabriquées à coup de spots cathodiques inhibiteurs d’imaginaire.

Il est vieux, si peu de taille à lutter contre l’émergence de ce bonheur préformaté, pasteurisé, calibré, normalisé.
Pourtant, il se ressaisit, houspille d’une stratosphérique éructation les quelques rennes harnachés grelottant en si bémol et part pour sa tournée en faisant grincer les patins de bois d’érable sur quelque poussière d’étoile.
Le vieil homme rouge reprend du poil de la comète. Oui il va se battre, monter un front du refus avec les papa-poules, les mères-courage, les poètes, les rêveurs, les anarchistes, les artistes, les navigateurs, les bergers de tous continents. Ils iront voir chaque enfant dans chaque maison et ré-insuffleront en chacun cette part d’émerveillement et d’innocence qui souvent vacille au vent fétide des normalisateurs mercantiles et liberticides. D'un poème, d'une chanson, d'un sourire ils répareront le monde inlassablement, faisant résonner les rires des enfants de l'Oural aux plages de Tasmanie, de la terre de Baffin aux versants des Andes, de l'embouchure du Yang Tsé aux chutes du Zambèze.


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